ANTHROPOLOGIE, DESIR MIMETIQUE, RENE GIRARD

LE DESIR MIMETIQUE CHEZ RENE GIRARD

LE DESIR MIMETIQUE CHEZ RENE GIRARD

Le désir triangulaire chez René Girard)

C’est la thèse que développe Girard : le désir est triangulaire. Le désir n’est pas une relation à deux termes (ente le sujet et l’objet) mais une relation à trois termes : car entre le sujet et l’objet, il y a autrui, le « médiateur ». On ne désire l’objet que parce que le médiateur le désire ; et l’objet est désiré que pour ressembler au médiateur. Ainsi, l’objet véritable du désir l’être du médiateur. Girard parle de désir suggéré, par opposition au désir spontané. Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, le désir suggéré bien plus intense que le désir spontané.

René Girard a découvert cette structure triangulaire du désir à travers l’étude de la littérature, et il l’illustre par des exemples littéraires. De Cervantès à Dostoïevski, en passant par Stendhal, Flaubert et Proust, tous les grands romans mettent en lumière ce caractère triangulaire du désir. Don Quichotte ne désire vivre des aventures que pour ressembler à son idéal du chevalier errant, Amadis de Gaule en les aventures dans un livre de chevalerie. Sancho Pança, son écuyer, désire ressembler à Don Quichotte. Julien Sorel (héros du roman de Stendhal Le Rouge et le noir) désire ressembler à Napoléon, et part alors en quête d’aventures. Son premier maître, M. de Rênal, ne l’emploie comme précepteur de ses enfants que par rivalité avec son concurrent local, M. Valenod. Chez Stendhal, le caractère mimétique du désir prend la forme de la vanité. Madame Bovary, comme Don Quichotte, désire vivre les aventures puisée dans les romans. Son amour est faux, il est complètement inspiré des histoires romantiques qu’elle a lues. Le snobisme proustien révèle la même structure : imiter les désirs d’une classe sociale dont on envie le chic, la naissance ou la fortune.

Au cours de l’histoire de la littérature, de Cervantès à Dostoïevski, on assiste à une double évolution. D’une part, le médiateur se rapproche. Au début, il appartient à une sphère inaccessible (géographique ou sociale) qui le place hors d’atteinte du sujet désirant. Girard parle dans ce cas de médiation externe. Dans la médiation interne, au contraire, le médiateur est si proche qu’il y a rivalité entre lui et le sujet. Le médiateur admiré devient alors un obstacle et un rival. Il est à la fois admiré et haï : rapport typiquement hystérique.
D’autre part, on passe d’une imitation consciente et reconnue par le sujet (Cervantès revendique son admiration pour Amadis de Gaule) à une imitation inavouée et même farouchement niée : à l’époque moderne (depuis le romantisme), chacun ne jure au contraire que par l’originalité, et le dogme du désir spontané, que Girard nomme « mensonge romantique » est tout-puissant. Selon la thèse de Girard, les critiques littéraires se sont trompés sur ces romans, par exemple en voyant dans les amours de Julien Sorel l’expression de son originalité d’individu romantique.
Cette double évolution va de pair avec le processus politique de démocratisation et d’égalisation des conditions : avec l’égalité démocratique, la compétition, la concurrence et la rivalité sont décuplées, dans tous les domaines (social, économique, culturel, etc.). Le désir mimétique bat son plein, mais on ne se l’avoue plus.

Cette dimension mimétique du désir et des goûts est à retenir pour faire une analyse de l’art au point de vue sociologique. Ainsi Bourdieu a insisté sur la dimension mimétique des goûts artistiques, qui fonctionnent essentiellement, selon lui, comme identificateurs sociaux : les valeurs esthétiques dominantes sont celles de la classe dominante. Quand la bourgeoisie accède au pouvoir au cours du XIXe siècle, elle reproduira les comportements culturels de la classe dominante précédente (l’aristocratie) afin de s’en approprier le pouvoir symbolique. Et en généralisant on peut dire que la possession d’une culture « élevée » permet surtout d’affirmer un rang social : de même en possédant une voiture coûteuse on affirme son capital économique, en fréquentant les grandes œuvres (opéra, théâtre, musées, etc.) on affirme son capital culturel et son rang social, c’est-à-dire son appartenance à la classe dominante
DESIR MIMETIQUE